Sommes-nous vraiment à l’ère de l’hypocrisie verte ? Faisons toute la lumière sur les ombres de la mobilité électrique
28/03/2024 – Batterie au lithium véhicules électriques, Blog
Il existe des liens nés d’intérêts communs et d’idéologies partagées qui, nourris par l’estime mutuelle, évoluent naturellement vers des relations de confiance. C’est le cas de notre amitié avec Silvia Bodoardo, professeure et chercheuse au département des sciences appliquées et de la technologie de l’école polytechnique de Turin.
L’épisode 49 de notre émission Battery Weekly 2023, consacrée à la mobilité électrique et aux questions critiques liées à sa diffusion, illustre bien cette collaboration. Nous avions alors commenté le reportage spécial de Report intitulé « Green Hypocrisy » (l’hypocrisie verte), diffusé le 19 novembre 2023, dans lequel Silvia Bodoardo était interviewée directement en tant qu’experte du secteur des batteries.
C’est justement en vertu de la relation qui existe entre Flash Battery et Silvia Bodoardo que nous avons estimé qu’il était de notre devoir de faire la lumière sur les questions abordées au cours de cet épisode, en exprimant notre point de vue de fabricant opérant dans le secteur des batteries au lithium depuis plus de douze ans.
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L’objectif de l’enquête sur l’hypocrisie verte était de mettre en lumière certains problèmes critiques liés au monde de l’économie verte, en soulevant des questions importantes sur ce qui se joue dans les coulisses de la transition écologique, en particulier en ce qui concerne l’adoption de plus en plus répandue de la mobilité électrique. Ce sont principalement les pratiques liées à l’extraction des matières premières utilisées dans les batteries des véhicules électriques et l’impact environnemental que ces processus génèrent sur le territoire et les populations qui ont été mis sous le feu des projecteurs.
En effet, le secteur des batteries fait depuis toujours l’objet de nombreux débats et c’est précisément pour cette raison qu’il est nécessaire d’avoir un point de vue qui ne se contente pas d’analyser les défis auxquels il est confronté, mais qui soit également en mesure de saisir les opportunités qui se présentent à lui. L’exploitation minière est sans aucun doute un sujet majeur lorsqu’il s’agit de batteries, mais il est important de ne pas tomber dans le piège du sensationnalisme.
Mettre en lumière les problèmes est une responsabilité et une étape fondamentale pour créer une prise de conscience, mais la transparence et l’exhaustivité des informations doivent être au cœur du récit afin d’apporter de réels avantages à la collectivité.
La responsabilité éducative de ce qui est communiqué doit cependant passer au premier plan : l’analyse des données scientifiques et les avis d’experts compétents sont des éléments essentiels pour une information qui favorise la clarté et la transparence, en évitant le faux alarmisme et en encourageant le progrès de l’ensemble du secteur.
Il est indéniable que l’augmentation de la production de batteries a entraîné une forte demande de matériaux dits critiques. Cette affirmation est étayée par des données récentes montrant une croissance significative : entre 2017 et 2022, la demande totale de lithium a triplé, tandis que celle de cobalt a augmenté de 70 % et celle de nickel de 40 %. Selon l’Announced Pledge Scenario de l’Agence internationale de l’énergie, la demande de ces matériaux devrait continuer à augmenter d’ici à 2030.
Toutefois, il est essentiel de clarifier certains aspects afin d’avoir une vue d’ensemble complète et, surtout, correcte et fiable du rôle que joue la mobilité électrique dans l’impact généré par l’extraction de ces matériaux.
Nous nous pencherons sur le nickel, le cobalt et le titane, les trois éléments visés par le reportage spécial « Green Hypocrisy », qui accuse la mobilité électrique d’être la principale responsable de l’extraction et des problèmes qui y sont liés.
Il est essentiel de préciser qu’à l’heure actuelle, seule une très petite partie du nickel extrait est utilisée pour la production des batteries des véhicules électriques. Selon les données fournies par l’Agence internationale de l’énergie (AIE) dans sa dernière publication annuelle sur le secteur du transport électrique, le Global EV Outlook 2023, seuls 10 % du nickel extrait ont été utilisés pour les batteries des véhicules électriques au cours de l’année 2023.
Alors, où va le reste du nickel extrait ?
La principale utilisation, à savoir plus de 70 %, est celle qu’en fait le secteur métallurgique, pour la production d’acier inoxydable. Ce matériau largement utilisé est un alliage commun à base de fer qui trouve des applications dans divers secteurs, de l’alimentation à la construction. N’oublions pas non plus que des objets plus petits qu’une voiture électrique, mais très utilisés, tels que les smartphones, tablettes et ordinateurs portables, contiennent encore du nickel.
Si le processus d’extraction du nickel en Indonésie est notoirement associé à des impacts environnementaux et sociaux significatifs, il ne faut pas oublier que ce matériau est utilisé dans un large éventail de secteurs manufacturiers. Plutôt que de pointer du doigt le secteur des batteries, qui ne représente qu’une petite fraction de son utilisation totale, il serait judicieux de réfléchir à la manière dont nous pouvons tous travailler ensemble pour limiter son utilisation à grande échelle ou réduire l’impact de son extraction.
Graphique représentatif de la production et de la demande de Nickel par secteur, 2016 – 2022
*[Fig.1]
L’enquête de Report s’intéresse ensuite au titane, et plus précisément au dioxyde de titane. Une fois encore, il est important de souligner que le dioxyde de titane, connu comme TiO2, est actuellement utilisé dans divers secteurs, notamment les peintures, le papier, les cosmétiques (par exemple pour la production de crèmes solaires et de dentifrices), les produits pharmaceutiques ou encore la céramique.
Dans le secteur automobile, le TiO2 est largement utilisé comme pigment blanc dans les revêtements extérieurs pour réfléchir la lumière du soleil, et réduire ainsi le chauffage intérieur et donc les besoins en énergie pour la climatisation. Certains revêtements de dioxyde de titane sont également photocatalytiques, ce qui signifie qu’ils peuvent réduire la pollution de l’air en décomposant des polluants tels que les oxydes d’azote lorsqu’ils sont exposés à la lumière du soleil.
Le dioxyde de titane est également utilisé dans les filtres à air des véhicules électriques afin d’améliorer la qualité de l’air dans l’habitacle en réduisant la présence de substances nocives.
On peut donc affirmer que le dioxyde de titane a plusieurs applications, mais qu’il n’est pas directement impliqué dans la propulsion d’un véhicule électrique, ce qui rend son utilisation dans ce domaine encore limitée.
Enfin, intéressons-nous au cobalt, un métal étroitement lié à la mobilité électrique, qui a un fort impact sur l’environnement, comme le souligne à juste titre l’émission télévisée.
Contrairement à de nombreux autres métaux, le cobalt ne se trouve pas à l’état pur, mais sous forme de minerai, et il est extrait comme sous-produit de l’exploitation du cuivre ou du nickel. Dans l’industrie, le cobalt a diverses applications, par exemple comme colorant ou additif, mais c’est dans les batteries au lithium qu’il joue un rôle particulièrement important. Ici, il est utilisé, sous forme d’hydroxyde de cobalt, dans la cathode, c’est-à-dire dans le pôle négatif, en raison de sa stabilité thermique et de sa haute densité énergétique.
Graphique représentatif de la production et de la demande de Cobalt par secteur, 2016 – 2022
*[Fig.2]
Le cobalt a fait l’objet d’une attention croissante au fil du temps en raison de ses conditions d’extraction, qui sont souvent associées à des situations éthiquement discutables. En particulier, la majeure partie du cobalt est extraite en République démocratique du Congo, un pays marqué par des conflits armés, ainsi que par l’instabilité politique et sociale.
La réduction de la teneur en cobalt est en fait un engagement pris depuis des décennies par les entreprises désireuses de réduire les coûts et les risques sociaux liés à la production de batteries. Pour faire face à ce problème, plusieurs entreprises du secteur des batteries au lithium ont lancé des initiatives visant à améliorer les conditions d’extraction du cobalt ou à mettre au point des solutions alternatives exemptes de cobalt.
Cet engagement s’est traduit par d’importants développements dans le secteur, de 2019 à nos jours. Selon les données de l’IAE, on a assisté ces dernières années à une différenciation importante des chimies utilisées pour la production de cathodes. Les chimies à base de nickel-manganèse-cobalt (NMC) ont en effet évolué au fil du temps vers des solutions dont la teneur en cobalt est de plus en plus faible.
Le reportage spécial « Green Hypocrisy » omet cependant qu’il existe déjà des batteries qui ne contiennent ni nickel ni cobalt : c’est le cas des batteries LFP, à savoir lithium-fer-phosphate, qui ont connu un véritable essor ces dernières années.
D’après les données de l’AIE, les batteries NMC représentaient 60 % du marché final en 2022, suivies par le phosphate de fer lithié (LFP) avec une part légèrement inférieure à 30 %, ce qui montre à quel point la chimie LFP joue un rôle de plus en plus prépondérant sur le marché. Les estimations actuelles prévoient une poursuite de la croissance dans les années à venir.
Si les batteries NMC ont donc dominé le marché des véhicules électriques pendant des années, la diffusion croissante des batteries LFP est en train de redéfinir le paysage de la technologie des batteries.
Bien que leur densité énergétique tende à être inférieure à celle des chimies NMC et NCA, leurs avantages en termes de sécurité, de coût, de longévité et de durabilité environnementale font des batteries LFP un choix de plus en plus populaire parmi les constructeurs de véhicules électriques.
En effet, nombreux sont les constructeurs automobiles qui ont investi dans cette technologie, depuis la Chine jusqu’à l’Europe, comme en témoignent les initiatives de Volkswagen visant à produire des modèles d’entrée de gamme en Europe avec des batteries LFP et la décision de Ford de construire une usine de production de batteries LFP aux États-Unis.
Se limiter à critiquer les limites actuelles de la mobilité électrique, sans examiner objectivement les nombreuses mesures prises par l’Europe dans le sens d’une transparence et d’une durabilité toujours plus grandes, donnerait une image partielle et incomplète de l’état de l’art actuel dans le secteur.
La batterie européenne est née pour être durable et recyclable, et notre continent prend de nombreuses mesures dans ce sens, afin de structurer une filière ayant un impact de plus en plus faible sur l’environnement à long terme et de garantir une chaîne d’approvisionnement plus sûre et plus durable. Cet engagement se traduit à la fois par des réglementations visant à promouvoir la transparence et la responsabilité tout au long de la chaîne de production des batteries et par des efforts visant à développer des solutions innovantes derecyclage des batteries.
Au niveau réglementaire, l’Union européenne a adopté des règlements visant à garantir que les matériaux utilisés dans la production des batteries au lithium sont extraits de manière éthique et durable, réduisant ainsi le risque d’exploitation et de violation des droits de l’homme dans les régions où ont lieu les extractions.
Un engagement qui, en 2023, s’est concrétisé par la rédaction de la législation sur les matières premières critiques, le Critical Raw Materials Act, un règlement auquel l’Europe a adhéré dans le but de diversifier les sources d’approvisionnement, de réduire la dépendance à l’égard des pays tiers et de promouvoir un accès sécurisé à ces matériaux.
Par le biais de ce document, l’Union européenne s’engage à identifier et à surveiller les matériaux critiques essentiels à l’économie européenne, à évaluer les risques associés à leur disponibilité et à leur production, ainsi qu’à promouvoir des politiques visant à assurer une gestion durable des ressources et à favoriser l’innovation technologique afin de réduire la dépendance à l’égard des matériaux critiques et de mettre au point des alternatives plus durables.
*[Fig.3]
Des objectifs ambitieux qui se traduisent par des initiatives concrètes, telles que des programmes de recherche et de développement visant à identifier des alternatives aux matériaux critiques, des initiatives de coopération internationale visant à garantir un approvisionnement responsable et des politiques d’investissement destinées à promouvoir la production et le recyclage durables de ces matériaux en Europe, conformément aux objectifs du secteur en matière de développement durable et de réduction de l’impact sur l’environnement.
Parallèlement, l’Union européenne investit dans des technologies avancées de recyclage des batteries, afin de récupérer et de réutiliser des matériaux précieux tels que le lithium, le cobalt et le nickel, réduisant ainsi la dépendance à l’égard des matières premières vierges et atténuant l’impact sur l’environnement dû à l’extraction et à la production de nouvelles batteries. Ces matériaux peuvent être extraits des batteries usagées et réutilisés dans la production de nouvelles batteries ou dans d’autres secteurs, contribuant ainsi à réduire la demande de matières premières vierges et à minimiser le coût environnemental lié à leur extraction.
Le lithium utilisé dans les batteries ne disparaît pas dans la nature une fois que le cycle de vie de la batterie est terminé : il reste à l’intérieur de la batterie usagée et peut être récupéré grâce à des processus de recyclage.
Preuve en est, dès 2021, le fabricant norvégien de batteries Northvolt a mené des tests de production en utilisant 100 % de matériaux recyclés, aboutissant à la production de la première batterie NMC avec des matériaux entièrement recyclés. Cette première expérimentation, qui s’inscrit dans le cadre du programme de recyclage Revolt de l’entreprise norvégienne, a démontré qu’il est possible d’obtenir des performances comparables entre les cellules fabriquées à partir de matériaux recyclés et celles fabriquées à partir de matériaux vierges.
Contrairement au pétrole, qui doit être extrait en continu pour alimenter les voitures thermiques, le lithium n’est extrait qu’une seule fois pour la production des batteries. Il faut en effet considérer que le lithium, le cobalt, le manganèse, le nickel et tous les autres matériaux contenus dans une batterie peuvent être recyclés et réutilisés plusieurs fois. Toutefois, il y a actuellement une carence de matières premières destinées au recyclage, car ce n’est qu’au cours des dernières années que nous avons commencé à mettre sur le marché des volumes importants de batteries, dont la durée de vie moyenne est d’environ 15 à 20 ans. Il s’agit donc d’un argument fondamental à prendre en compte à long terme.
Il s’agit d’un concept similaire à celui que nous avons déjà connu dans le secteur du plomb, où nous avons réussi à transformer ce qui était autrefois un processus d’extraction manuel en un système de recyclage bien établi. Aujourd’hui, une grande partie du plomb utilisé est obtenue par recyclage, mais ce changement ne s’est pas produit du jour au lendemain : il a fallu du temps pour développer les infrastructures et les technologies nécessaires.
Après quatre saisons, 150 épisodes enregistrés et des dizaines d’invités de renommée nationale, il est une chose que nous avons apprise avec certitude au cours de Battery Weekly : l’innovation dans le secteur des batteries va vite et la recherche est en constante effervescence.
Le monde de la chimie appliquée aux batteries évolue rapidement, non seulement par l’adoption de technologies plus avancées, mais aussi par l’exploration de nouvelles chimies toujours plus diversifiées et dont l’objectif est d’accroître sans cesse la durabilité. Des progrès significatifs ont été réalisés dans la recherche et le développement de nouvelles chimies visant à réduire ou à éliminer l’utilisation de matériaux considérés comme critiques ou nocifs pour l’environnement et la santé humaine. Un exemple en est la technologie au sodium, qui fait déjà ses premiers pas sur la scène des batteries, suscitant un intérêt croissant.
Pour relever ces défis, des investissements importants sont nécessaires dans la recherche et le développement de technologies de recyclage avancées et durables, ainsi que dans la création d’infrastructures et de réglementations adéquates pour soutenir le recyclage des batteries à grande échelle. Tout cela n’est cependant pas suffisant sans une communication précise et objective visant à sensibiliser et à impliquer activement le public dans un dialogue ouvert et transparent, en clarifiant plutôt qu’en obscurcissant, en éduquant plutôt qu’en effrayant.
Ne manquez pas Battery Weekly, tous les lundis EN DIRECT à 18 h sur les chaînes LinkedIn et YouTube de Flash Battery.
Source Fig. 1: Overall supply and demand of battery metals by sector, 2016-2022. Image prise du Global EV Outlook 2023 de l’ Agence internationale de l’énergie. https://bit.ly/4auvUfN
Source Fig. 2: Overall supply and demand of battery metals by sector, 2016-2022. Image prose du Global EV Outlook 2023 de l’ Agence internationale de l’énergie. https://bit.ly/4auvUfN
Source Fig. 3: Critical Raw Materials act. Image prise sur le site web de la Commission Européenne le 20/03/24. https://bit.ly/43BGnDM